PHOEBÉ LIBERGE - PHOTOGRAPHIE, CYANOTYPE ET EXPÉRIMENTATION
ECRITS
Ecrire sur l'écorce - Novembre 2023
J'ai trouvé cette écorce chez Blanche et Dédé.
C'est une écorce de bouleau.
Je l'ai juste touchée comme ça, et elle s'est nichée sous mes doigts.
Je l'ai même pas arrachée, elle était déjà là, elle s'est déposée là.
Ça m'émeut, un bout d'arbre qui vient rencontrer une main et s'y loger. Hasard heureux.
Alors je l'ai gardée, et depuis, je la regarde tous les jours. On dirait une peinture, avec des broderies par dessus.
Elle a un petit trou aussi, je ne sais pas pourquoi, fringale d'un insecte passé par là ?
Elle sent l'humidité du sous-bois, mais sec. Elle a une odeur d'oxymore.
Il y a des trouvailles comme ça, c'est un truc sur lequel tu tombes, un truc anodin, et pourtant ça fait rencontre, c'est enthousiasmant. Ça devient intime, ça devient une œuvre à part entière. D'ailleurs, je mettrais bien cet intime encadré sous verre.
L'écorce me fait penser à Jane, copine d'enfance. Jane elle me faisait croire qu'elle lisait l'avenir dans les écorces d'arbre. Elle aurait pu dire dans du café, dans les lignes de la main, non elle a dit dans les écorces d'arbre, ceux de l'école, les écorces des grands pins, les pins du Bassin.
C'est pas tout le monde qui dirait ça, c'est pas tout le monde aussi jeune, qui donnerait à un arbre une portée si grande. Souvenir heureux.
Un jour, j'étais petite, j'étais toute seule dans le jardin à Lège, près de l'escalier, je me suis dit un truc, c'était même pas une promesse, c'était une phrase comme ça, de moi à moi, une parole intime prise d'une assurance que je ne me connaissais pas encore. Je me suis offerte comme ça une parole de destinée. C'était d'une évidence dingue, une simplicité assurée, pas réfléchi, c'était dit. C'était juste comme ça, je savais que ça arriverait. « Un jour je m'intéresserai aux arbres et aux oiseaux ».
C'est drôle quand même. Cette pensée m'a suivie, toujours confiante, un jour viendra. Puis c'est venu. Maintenant je vis près des bois, entourée des êtres à plumes d'ici et là, d'ici là-haut. Ecorces et plumes font trace de vies sur terre, ou dans les airs. Traces de vies singulières. Têtes en l'air.
PL

Le son du silence (mai 2023)
C'est des fois quand il y a le silence,
J'entends un son, un ultra son, un... intrason ?
Je ne sais pas si c'est dans mon oreille ou si c'est dehors.
Si c'est dehors alors d'où vient le son ?
C'est le son du vide du monde ?
Et si c'est dans mon oreille,
Alors d'où vient le son ?
C'est le son du vide en moi ?
Parfois quand je passe à côté d'un camion, d'un train, d'un avion,
J'entends un son, un son plein, un son sourd, un son blanc.
Je me dis, peut-être, c'est ça le son de la mort.
Peut-être que la mort on l'entend dans les sons saturés,
Peut-être que la mort c'est la vie qui sature.
Peut-être que dans le son qui sature,
Il y a l'interstice entre les vivants et les morts.
Je me dis ça.
En cela, le silence fait lieu de recueillement.
Il me permet quelques secondes d'aller saluer les morts.
Peut-être que le silence est le son commun aux morts et aux vivants.
Par le silence du monde, on entend mieux ce qui sonne en soi.
Je ne crois pas au silence en soi.
La pensée est un son silencieux pour le monde,
Mais pas pour soi.
On peut parler très fort silencieusement
Et le monde n'entend pas.
Mais en soi, silence sonne et résonne toujours.
Alors tirons leçon du silence.
PL
Caresse du soleil (mars 2023)
C'est quand le soleil arrive comme ça.
Il perce le ciel gris,
Il se montre,
Il surgit,
Comme la mort.
Je pense à lui,
Chaque fois que ces rayons se présentent.
Ils m'ébLouissent parfois,
Mais me caressent
Toujours.
A la crémation, j'ai dû le placer quelque part.
"T'es où papa ? T'es où ?"
J'entends sa voix me dire "Dans ton cul !".
J'imagine son sourire narquois.
C'était son style ça.
Humour beauf, et pourtant
Sensible aux choses de finesse.
A la crémation,
Devant ces portes gigantesques qui se ferment,
Qui l'emportent,
J'ai dû le placer quelque part.
Ca m'est venu comme ça, d'un coup,
Dans l'urgence.
Je guettais le point de lumière.
Un tout petit point d'ouverture,
Qui donnait sur le dehors.
Que reste-t-il ?
Il reste ça, ce sera ça.
Je vais te placer là.
Dans le point de lumière.
Le point de lumière.
C'est mon père.
Roi soleil.
Le soleil,
Quand il surgit,
C'est une caresse sur ma joue,
C'est la main de mon père.
PL
Le chant des sirènes (mars 2023)
Je m'inquiétais pour lui,
On était enfant.
Mais c'est hostilité
que je lui adressais.
Je ne savais pas faire autrement.
C'était un petit gars qui essayait
De vivre dans un monde sans sens.
Il n'a pas choppé les codes.
Ca ne marchait pas.
On répétait, on répétait,
Mais ça ne marchait pas.
Et pourtant,
Sensible, un regard si grand,
Etranger, lointain, différent.
Il n'a pas choppé les codes,
Pas avec nous.
Pas comme nous.
Et pourtant,
Il a su placer sa main,
Sur nos épaules,
Au bon moment,
Quelques secondes seulement,
Le jour où papa est mort.
Cela se situe bien au delà du code.
Il a choisi ce moment,
Pour adresser ce geste
Relativement commun, convenu,
Pourtant, de sa part à lui,
Inédit, inconnu.
C'est une tendresse rare.
C'est une tendresse pure.
Il est une poésie qui s'ignore.
Pourtant je le vois.
Je me souviens.
Il m'a dit un jour :
" C'est beau le bruit de la chasse d'eau,
On dirait des sirènes qui chantent."
On était petit,
Je m'en souviens encore,
J'étais surprise, émue,
Mais je ne l'ai pas montré.
Et pourtant,
C'est une des plus belles choses que j'ai entendue.
Avancer une telle idée est courageux.
Avancer une telle idée est une pureté.
Le chant des sirènes.
Voilà ce qu'est poésie.
C'est ce bruit du flot qui aspire notre merde,
Qui devient soudainement une envoutante harmonie.
Voilà ce qu'est poésie.
Du subversif présent,
La soudaineté d'une pensée, d'un geste, d'un regard.
Cette liberté m'a inspirée.
Peut-être un jour,
Je lui dirai
Qu'il a, sans le savoir,
Contribué à la curiosité
Que je porte aujourd'hui
Sur les choses et les gens,
Sur leur altérité.
PL
Article :
Se trouver dans la pluie - Février 2023

Le vent (février 2023)
J'ai un ami, Louis, qui m'a dit
Que ses morts à lui
Etaient dans le vent.
Vent,
Grand être vide
Que l'on ne reconnait
Que lorsqu'il trouve matière
À se frôler.
Grand voyageur,
Condamné à l'errance.
Fantôme,
Airrant.
Maudit poète,
Il dépend de son hôte,
Il ne peut exister sans toucher l'Etre.
Danseur passionné, maladroit,
C'est un souffle de rien,
Curieux de chacun.
Peut-être trop curieux,
Peut-être trop aimant
Car ne peut s'empêcher
De faire avancer, reculer,
Valdinguer tout passant.
Vent, si tu veux danser,
Tu peux m'inviter tu sais ?
Ne pouvant qu'exister dans le mouvement,
Je me dis : il doit être fatigué ce vent.
Un jour je lui construirai un abri,
Pour qu'il puisse peut-être s'y reposer.
Car cela doit être éprouvant
D'heurter tout le temps les gens.
PL
Le parfum (janvier 2023)
Il y a un parfum
Que je cherche
Depuis maintenant 8 ans.
Je le sens parfois
Dans la rue,
Dans la foule.
Mais aussitôt senti,
Aussitôt enfui.
Alors je vis comme ça,
De courts instants
De ravissement.
C'est un parfum
Qui sent la poussière,
Et peut-être la mandarine,
Et peut-être le jasmin
Sous la pluie.
J'ai appris à aimer la poussière,
D'abord par mon père
Et ses vieux livres.
Puis après Giacometti en a parlé :
"C'est joli ! C'est joli !" il disait à Genet.
Moi ça me touche
Un être qui prête attention
Aux dépôts du temps sur les objets.
PL
Poème autour d'un witz (décembre 2022)
Comment,
Comment dire
La perte pure
Celle laissée par le mort.
J'ai pensé :
Jacques a parlé là dessus.
En fait j'ai mélangé
Ses dires.
Je cherchais la suite à
"Ce qui perdure de perte pure"
Et j'y ai collé
"S'aile à mourre".
Ca sonnait bien,
Ca disait juste.
En fait c'était pas ça.
Ce sont deux dits distincts.
C'est pas Jacques qui dit alors,
C'est Je.
Je dis :
Ce qui perdure de perte pure,
C'est l'amour.
PL